L’Émile Miguet, pétrolier de la CNP – 12 avril 1937

Texte largement repris des articles :

Drapeau de la CNP
Drapeau de la CNP

Le pétrolier français ÉMILE MIGUET (14115 TJB) fut le plus grand du monde, à son lancement en 1937. Mais il a mal terminé sa carrière.

Avec le Française II (pétrolier caboteur,1935), il fut l’un des premier navire de la Compagnie Navale des Pétroles (CNP), une filiale de la Compagnie Française des Pétroles (CFP, futur TotalEnergies).

EMILE MIGUET au chantier naval des Ateliers et Chantiers de France à Dunkerque. (© facta-nautica.graptolite.net)

Un pétrolier est un navire-citerne servant à transporter le pétrole ainsi que ses dérivés (essence). On les nomme également tankers (en anglais : oil tankers, littéralement « navires-citernes à pétrole »), ou supertankers pour les plus grands.Wikipédia
Le début du transport du pétrole sur l’eau remonte au XIXème siècle, avec le percement d’un des premiers puits en Pennsylvanie (USA), en 1859 : les barils sont alors transportés sur des barges le long de la rivière Allegheny, puis par chemin de fer. La demande commence alors à venir de l’Europe et la nécessité de navires pouvant transporter le pétrole en sécurité se fait sentir.

Et c’est dans ce but, qu’en 1937, la Compagnie Française des Pétroles (créée en 1931) va faire l’acquisition du pétrolier l’ÉMILE MIGUET, via la Compagnie Navale des Pétroles. Découvrons ici l’histoire de ce navire.

Table des matières

Le lancement du pétrolier ÉMILE MIGUET, à Dunkerque, jalonne la course au gigantisme, commencée dès le début de l’entre-deux-guerres, dans la conception des navires-citernes.

La demande de produits extraits des champs pétrolifères du Moyen-Orient, de la mer Noire et du pourtour du golfe du Mexique explose après le premier conflit mondial.

Et, pendant des décennies, la France sera d’ailleurs toujours à la pointe de la technologie dans la construction des transporteurs de brut. Cela commence en 1922, avec le premier pétrolier « géant », le Saint Boniface. Dans les années 1930, arrivent un deuxième record de taille (mise en service du Marguerite Finaly), puis un troisième, avec l’ÉMILE MIGUET, destiné, lui, à étoffer la flotte de la Compagnie Navale des Pétroles (CNP)[+].

Le plus grand tanker d'Europe

C’est Madame Miguet, veuve d’un ancien directeur de la Compagnie Française de Raffinage, filiale de la CNP, qui baptise le navire le 12 avril 1937, aux Ateliers et Chantiers de France (Dunkerque).

Le pétrolier est tellement imposant – pour l’époque -, avec ses 176 mètres de long et ses 9,75 mètres de tirant d’eau, que seul le port du Havre peut l’accueillir (aux appontements pétroliers de la Compagnie Industrielle et Maritime, créé en 1920).

Il est le plus grand tanker d’Europe. Le Journal de la Marine marchande de l’époque s’enthousiasme : « Sa prochaine mise en service apportera une contribution appréciable au rayonnement de la France à travers le monde ».

C’est aussi le pétrolier le plus moderne, doté d’aménagements confortables et, en particulier, de systèmes de protection contre les incendies, la hantise des équipages depuis que plusieurs drames spectaculaires ont frappé les esprits, les années précédentes.

La loi du 16 juin 1933 impose qu’à bord, soit également prévu un hôpital complètement isolé, ainsi qu’une cabine pour un infirmier. Livré fin mai 1937, le navire entame ses voyages : il en effectuera 22, avec peu d’anicroches, sinon un heurt assez violent, le 5 mars 1938, contre la porte d’entrée du bassin de Saint-Nazaire, qui occasionne quelques dégâts tant au navire qu’à la porte elle-même…

Les caractéristiques de l’Émile Miguet

  • Constructeur : Ateliers et Chantiers De France, Dunkerque (1937)
  • Constructeur moteur : Ateliers & Chantiers de St. Nazaire – Chantiers de l’ Atlantique
  • Propriétaire : Cie. Navale Des Pétroles
  • Hélices : 2 hélices
  • Moteur : moteur diesel 4 temps (4SCA), 2 X 6 cylindres, double arbre, d’une puissance de 492 ch, usine de production à Saint-Nazaire.
  • Vitesse de croisière : 13,5 nœuds (25km/h)
  • Dimensions : 175,9m. x 22,3m. x 12,2m.
  • Tonnage : 14 115 tonnes
  • Capacité de charge : 21735 tonnes
  • Capitaine : Robert Andrade
  • Membre d’équipage connu : l’apprenti matelot Joseph Lemacu (1920 – 1939)[+]

En 1939, la flotte française se compose de 72 navires, tant au long cours qu’au cabotage, soit un total de 323 000 tpl.arch-marit

Sous-marin allemand

L’ÉMILE MIGUET n’effectuera pas davantage de navigations, car il deviendra tristement célèbre avec un autre record dont il se serait bien passé. Un autre conflit – la Seconde Guerre mondiale, cette fois – éclate en septembre 1939. Le pétrolier est alors à Corpus Christi (Texas) et doit revenir en France avec un nouveau chargement complet. Mais les conditions des voyages ont désormais changé. En raison des risques dus à la guerre, les navires marchands doivent se rassembler en convois protégés par des escorteurs. Celui-ci se fera en compagnie du sous-marin Surcouf. Ceci ralentit certains d’entre eux, car, pour rester groupés, il faut adapter la vitesse des plus rapides, comme l’ÉMILE MIGUET justement, à celle des plus lents ou des plus fatigués.

Parti, le 17 septembre 1939, de Corpus Christi, l’ÉMILE MIGUET semble se traîner au milieu de son convoi où, hasard des circonstances, a pris place le Marguerite Finaly, cité plus haut. Ses réservoirs étaient remplis de 137 000 barils huile et essence non transforméesfacta-nautica. Le 26 septembre 1939, le convoi franco-britannique KJF-3 quittait la rade du port de Kingston, Jamaïque, à destination des ports de France et de Grande-Bretagne. Un événement vient perturber la traversée : un mini-ouragan souffle sur l’Atlantique nord. La mer est grosse, les navires gouvernent mal. Le commandant du pétrolier, Robert Andrade, doit différencier les deux hélices et, bientôt, le 6 octobre, sous les rafales violentes et les grains, se mettre à la cape, pour sauvegarder ses embarcations. Les autres navires se dispersent, se perdent de vue.

Avec ses deux moteurs diesel capables de le propulser à 14 nœuds, l’ÉMILE MIGUET peut reprendre le voyage, seul. Le commandant, impatient de livrer ses 20 000 tonnes de pétrole, est sûr de lui grâce à la vitesse de son navire. Le 12 octobre, deux jours avant d’atteindre son port de destination du Havre, le navire a le malheur d’être séparé du convoi dans un épais brouillard. Ce dernier se trouve à 500 milles devant le convoi et à 300 milles de la pointe sud-est de l’Angleterre. Mais un sous-marin allemand rôde : l’U-48 du Korvettenkapitän Herbert Schultze. Soudain, en fin d’après-midi, lorsque le brouillard s’est finalement dissipé, le sous-marin, sans avertissement, attaque au canon à plusieurs reprises, à 18h08. Un des obus atteint le poste tribord arrière et tue un jeune marin de 18 ans, Joseph Le Maou, littéralement coupé en deux. Le novice meurt pratiquement dans les bras du second capitaine, Léon Caronpages14-18. Ce coup fut suivi d’autres — sept ou huit.

Le commandant Andrade, 40 ans, ordonne l’abandon de son navire, il avait une crainte fondée d’une explosion d’essence. Le sous-marin torpille le pétrolier peu après pour achever le travail. Cette torpille à courte portée a frappé au milieu du navire et a failli briser la coque. le U-Boat repart rapidement sans attendre que le bateau disparaisse sous l’eau. L’ÉMILE MIGUET, dérivant dans l’océan, reste à flot toute la nuit et le lendemain, puis prend feu.

Un appel de détresse émis par le navire au moment de la rencontre avec le U-Boat a été reçu, entre autres, par un paquebot (un paquebot à vapeur) américain à destination de New York, le PRESIDENT HARDING (13 869 GRT). Il se trouvait à environ 200 milles de l’emplacement indiqué de l’attaque. Le navire change de cap et s’est dirigé vers eux. Quelques heures plus tard, dans l’obscurité de la nuit, il a trouvé deux canots de sauvetage avec des survivants. La surprise des Américains est immense lorsqu’ils découvrent que les marins qui se trouvent dans les canots de sauvetage ne sont pas des marins de la marine marchande. Les marins qui se trouvent dans les canots de sauvetage ne font pas partie du pétrolier qui appelle à l’aide. En effet, par hasard, ils sont tombés sur l’équipage du s.s. HERENSPOL, un navire de guerre britannique. L’EMILE MIGUET et le HERENSPOL avaient tous deux été victimes du même sous-marin, le U 48, célèbre par la suite pour ses exploits..

Le lendemain matin, le PRÉSIDENT HARDING trouve la coque de l’EMILE MIGUET toujours à flot et en feux. Deux destroyers britanniques tournant autour d’elle. Les Britanniques n’ont aucune information sur l’équipage du pétrolier. Quittant les lieux l’un des destroyers, le HMS IMOGEN, envoie l’épave rebelle par le fond, à l’aide de torpilles a fin qu’elle ne menace plus la navigation. Les derniers instants du super-navire de l’époque ont été filmés depuis le pont du « passager » américain. Il repose au fond de l’océan sur le fond de l’océan Atlantique, dans une zone située à environ 200 mm au sud-ouest de l’Irlande (position 50°15′ N.). Irlande (position 50°15′ N, 14°50′ W).

Avec le temps, il est apparu que l’embarcation de sauvetage du pétrolier français avait rencontré le cargo américain s.s. BLACK HAWK (4988 BRT) quelques heures plus tôt, vers minuit deux. Une fusée éclairante a été aperçue pour la première fois depuis le cargo, ce qui a été interprété dans un premier temps comme un signal émis par le sous-marin, appelant le navire à s’arrêter. Parmi les 38 hommes sauvés de l’ÉMILE MIGUET, un marin était gravement blessé à la tête, mais il a réussi à sauver sa vie avant d’atteindre Boston.

Le record de l’ÉMILE MIGUET à cette occasion ? C’est le premier pétrolier torpillé de toute la guerre 1939-1945.

Une fois la paix revenue, la Compagnie navale des Pétroles lancera de nouveaux pétroliers, dont un qu’elle baptisera Novice Le Maou, en hommage au malheureux jeune marin breton.

La conférence de presse de Boston

Le journal américain Sarasota Herald Tribune, dans son édition du 23 octobre 1939, a rendu compte d’une conférence de presse à Boston à laquelle participaient les survivants de l’ÉMILE MIGUET.

Le capitaine R. Andrade a notamment fait part de sa surprise de voir que son navire avait brûlé avec tant de difficultés et n’avait pas explosé malgré sa charge d’essence. Pendant les heures d’obscurité, ils ont vu une soudaine explosion de flammes, ce qui les a amenés à penser que le sous-marin était revenu vers sa victime pour la tuer.

Il convient également de noter qu’aucun membre de l’équipage n’a été tué, à l’exception du jeune marin de 18 ans mentionné plus haut[+]. Au contraire, toutes les sources d’après-guerre dont je (Dr Piotr Mierzejewski) dispose mentionnent deux décès. Je pense que le second mort est l’homme blessé à la tête qui a été secouru sur le BLACK HAWK.

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