Compagnie Française des Pétroles (CFP) – mai 1924

Tout commence par une lettre adressée le 20 septembre 1923 à l’industriel Ernest Mercier.

Le contexte

« Si les Alliés ne veulent pas perdre la guerre, il faut que la France combattante, à l’heure du suprême choc germanique, possède l’essence aussi précieuse que le sang dans les batailles de demain » : dans ce télégramme envoyé au Président Wilson le 15 décembre 1917, Clemenceau réclame d’urgence aux Américains 100 000 tonnes de carburant pour alimenter la machine de guerre française en panne sèche. L’aide américaine sera au rendez-vous. Mais cette crise du ravitaillement de décembre 1917 fait prendre conscience aux responsables politiques français de la nouvelle importance géostratégique et économique du pétrole et de l’extrême dépendance et vulnérabilité du pays dans ce domainealtern-eco.

A la fin de la Première Guerre mondiale, la France, faute d’avoir pris conscience du caractère stratégique de l’or noir, faute aussi d’une véritable mobilisation industrielle […], faute enfin de capitaux, est donc un nain dans le monde du pétrole.

C’est cette position peu enviable que Georges Clemenceau est décidé à changer. Comme souvent en France, l’urgence de la situation et la nécessité de mobiliser rapidement d’importants capitaux vont pousser l’Etat à intervenir massivement dans le jeu. Pour autant, il y a loin de la coupe aux lèvres ! Les discussions de décembre 1918 entre Clemenceau et Lloyd George se sont en effet déroulées sur un mode très informel et n’ont donné lieu à aucun traité. Il en découle, dans les deux années qui suivent, une véritable foire d’empoigne entre les alliés d’hier, bien décidés à faire valoir leurs droits.

Le traité de San Remo

En avril 1920, après des mois de récriminations réciproques, un accord est enfin trouvé.

Par le traité de San Remo, la France se voit reconnaître une participation de 25 % dans le capital de la Turkish Petroleum Company _ qui sera un peu plus tard rebaptisée Irak Petroleum Company. Ces 25 % correspondent en fait à l’ancienne participation de la Deutsche Bank dans la Turkish, mise sous scellés par les Anglais pendant la guerre. Les Français, en somme, récupèrent les dépouilles des Allemands. Un homme, dans l’affaire, a joué un rôle clef : Calouste Gulbenkian, monsieur « Cinq Pour Cent », l’incontournable arrangeur d’affaires dans l’univers du pétrole. C’est en grande partie lui qui, depuis sa suite de l’Hôtel Ritz, a conçu et exécuté ce savant montage…

Reste à présent à organiser la participation française dans la Turkish Petroleum Company. L’affaire, d’emblée, s’annonce complexe. Dépourvue d’industrie pétrolière, la France, en effet, hésite : monopole d’Etat ou initiative privée ? La question donne lieu à de nombreux débats à la Chambre entre les partisans du libéralisme et les adeptes d’une nationalisation du secteur, au premier plan desquels se trouvent les socialistes.[…]

La solution

La solution, c’est finalement Raymond Poincaré qui la trouve.

Président du Conseil depuis 1922, il n’est pas partisan du monopole. Mais il ne veut pas non plus d’une société contrôlée par des intérêts étrangers. Son idée : créer une entreprise purement française et, pour cela, attirer des investisseurs hexagonaux.

Tâche difficile, il le sait, qui nécessite d’avoir un homme de confiance capable de réunir tous les acteurs concernés autour d’une table. 

Cet homme, le président du Conseil l’a déjà choisi : il s’appelle Ernest Mercier. Il va être le grand artisan de la naissance de la Compagnie Française des Pétroles, ancêtre direct de l’actuel groupe Total.

Source : LesEchos

Ernest Mercier acteur majeur de la CFP

Tout commence par cette lettre, celle que le président du Conseil Raymond Poincaré, sur la suggestion de Louis Pineau, son conseiller aux affaires pétrolières et de Louis Loucheur, ministre de la Reconstruction, adresse le 20 septembre 1923 à l’industriel Ernest Mercier. À ce dernier, l’homme d’État (malgré ses nombreuses occupations) confie une mission importante : créer un « outil capable de réaliser une politique nationale de pétrole ».

Ernest Mercier, avec son expérience, autant que sa personnalité, en faisait l’homme providentiel capable de créer dans notre pays une industrie nationale du pétrole. C’est un industriel pas tout à fait comme les autres. Un homme de réseau mais aussi un spécialiste de l’organisation industrielle.

Ernest Mercier ne pouvait que s’incliner devant un tel désir, mais, précise-t-il dans ses notes : « Appréciant les difficultés d’une tâche qui allait se heurter à des résistances extraordinairement puissantes et pour sauvegarder un suffisant ascendant moral, j’ai accepté en ne stipulant qu’une condition, celle de ne recevoir aucune rétribution de mes fonctions ».

Il prendra la présidence du Syndicat Français d’Etudes Pétrolières et, six mois plus tard, en mai 1924, la Compagnie française des pétroles (CFP) voit le jour. Elle est l’aboutissement d’intenses tractations diplomatiques commencées à la fin de la Première Guerre mondiale, débouchant sur une maigre participation française dans le pétrole mésopotamien.

Ernest Mercier fut appelé, en 1922, à la présidence de l’International Open Oil, qui investit dans la Steaua romana, un groupe intégré roumain (la plus importante société pétrolière de Roumanie). La même année, il créa la Steaua française, dont il était devenu le président. Cela lui servi pour la formation des ingénieurs CFP.

Ernest Mercier (1878-1955) (© wiki.totalenergies.com)

La CPF

Affiche Compagnie Française des Pétroles (CFP)

Société privée, la C.F.P. a, à son lancement, pour actionnaires les principales banques françaises ainsi que les grandes sociétés françaises de négoce de produits pétroliers.

Son principal actif est constitué des 25 % dans la Turkish Petroleum Company. Cette même année 1924, la Compagnie Française des pétroles aura en charge d’administrer la part française (23,75 %) dans l’Iraq Petroleum Company (IPC) et ses filiales dans les Émirats [2].

Confier à une entreprise privée la défense des intérêts énergétiques français : le pari de Raymond Poincaré et d’Ernest Mercier ne manquait pas d’audace. Pour autant, il ne met pas fin aux débats qui, depuis 1918, agitent la Chambre.

Une loi votée en 1931 donnera 35 % de son capital, alors entièrement privé, à l’État. Une solution de compromis, habilement négociée par Ernest Mercier, qui n’a pas hésité à mettre sa démission dans la balance pour éviter une mainmise totale des pouvoirs publics sur la société qu’il préside.

Développement

Pour les compagnies pétrolières, aller vers l’aval est une nécessité. À la CFP, on l’a bien compris. Dans l’affaire, la société va faire preuve d’un étonnant esprit pionnier. Elle part en effet de rien ! Alors que ses concurrents anglo-saxons ont déjà leurs réseaux de raffineries et des gammes de produits très développées, elle n’est active qu’en amont. Si elle veut se déployer sur toute la chaîne industrielle, il lui faut agréger des expertises nouvelles. À partir de son premier actif, 25 % des parts de la Turkish Petroleum Company, la CFP se développe grâce à l’exploitation de pétrole découvert en 1927 près de Kirkouk en Irak, puis en Colombie et au Venezuela. La CFP avait aussi des intérêts en Roumanie (Steaua Roumania).

La découverte des premiers gisements dans la région de Kirkouk, en 1927, vient à point nommé donner de l'eau au moulin des partisans du monopole. Maintenant que la CFP est assurée de recevoir du pétrole irakien, n'est-il pas préférable de la nationaliser afin de préserver les intérêts du pays, argumente-t-on à gauche.

Ernest Mercier renforce l’intégration verticale de son groupe en construisant des moyens de transport pétrolier et des raffineries à Gonfreville, près du Havre et sur l’étang de Berre, près de Martigue.

Quelques dates clefs

  • Mai 1924 : création de la Compagnie française des pétroles (CFP), avec un capitale de 25 millions de francs.
  • Juillet 1924 : la C.F.P. acquis 25% de la Turkish Petroleum Company (traité de San Remo).
  • Octobre 1927 : découverte du champs de Kirkouk. Le working agreement (juillet 1928) en donne 23,75% des part à la C.F.P.persee
  • 1928 : arrivée à la C.F.P. de Victor de Metz, futur directeur, directeur général adjoint, président de la C.F.P. … et créateur du nom « Total » Wiki-VDM.
  • 30 avril 1929 : fondation de la Compagnie française de raffinage (CFR).
  • 1929 : introduction à la bourse de Paris de la Compagnie française des pétroles (CFP).
  • 1931 : la CFP devient une entreprise mixte avec 35% du capital appartenant à l’Etat.
  • 1931 : la CFP créera la Compagnie navale des pétroles (CNP). Le premier pétrolier, l’Emile Miguet sera coulé par les Allemand deux ans seulement après son inauguration.
    Le pétrolier Emile Miguet en mer (© wiki.totalenergies.com)
    Le pétrolier Emile Miguet en mer (© wiki.totalenergies.com)
  • 1933 : création de la raffinerie de Normandie par la CFR (l’une des plus grandes du monde).
  • Juin 1935 : mise en route de la raffinerie de la Mède (Châteauneuf-les-Martigues, Bouches-du-Rhône, France).
  • 1937 : le capitale est de 25 millions de francs.
  • Trente Glorieuses (entre 1945 et 1975) : Victor de Metz principal artisan de la transformation de la C.F.P. en grande compagnie pétrolière française Wiki-VDM.
  • 1946 : Jean Rondot, premier « représentant de la CFP dans les États du Levant » cairn.info.
  • Années 50 : la CFP n’était pas un géant de l’industrie pétrolière et son activité resta, jusqu’à l’exploitation du pétrole algérien en 1960, cantonnée au Moyen-Orient[9].
  • 1954 : la Compagnie Navale des Pétroles lance, depuis la Ciotat, le pétrolier BIBLOS.
  • 1954 : la C.F.P. acquiert une participation dans le Consortium Iranien des Pétroles[3].
  • 1971 : 75 % du brut provient toujours d’Irak, d’Iran et des Émirats[9].
  • 1980 : création de Chloé Chimie, association d’Elf Aquitaine, CFP et Rhône Poulenc.
  • 1982 : réalisation par la CFP du premier forage en eaux profondes en mer Méditerranée.
    Mission en eaux profondes (COMEX), préparatifs sur le pont (© wiki.totalenergies.com)
    Mission en eaux profondes (COMEX), préparatifs sur le pont (© wiki.totalenergies.com)
  • 1985 : changement de dénomination de la CFP en Total-CFP, puis TOTAL en 1991, TotalFina en 1999 , TotalFinaElf en 2000, Total en 2003 et enfin TotalEnergies le 28 mai 2021.
Un homme :
Ernest Mercier
Ernest Mercier, élève de Polytechnique
(C) Photo Collections Ecole polytechnique

Ernest MERCIER (chronologique)

Ernest Mercier (Constantine, Algérie, 4 février 1878 – Paris 11 juillet 1955) est un industriel français qui créa et dirigea la Compagnie française du pétrole (CFP), ancêtre du groupe pétrolier français TotalEnergies.

Biographie

  • 4 février 1878 : Naissance à Constantitne (Algérie française) ;
  • Lycée à Louis-le-Grand ;
  • 1897 : Il entre à Polytechnique (sortie dans les premiers) pour intégrer le corps des ingénieurs du génie maritime à sa sortie ;
  •  Suit entre 1905 et 1908, les cours de l’École Supérieure d’Électricité ;
  • 1904 : Mariage avec Madeleine Tassin ;
  • Première Guerre Mondiale : Combat dans les Balkans et les Dardenelles / Reçoit un éclat d’obus au pied alors qu’il commande sur le Danube des troupes roumaines / Devient agent de liaison de Louis Loucheur, ministre de l’Armement ;
  •  Quand Louis Loucheur est nommé ministre des Zones libérées, Mercier le suit et s’occupe des usines allemandes dépendant de la commission de contrôle militaire ;
  • 1919 : Participe à la création de l’Union d’électricité, la présidera ainsi que la Société Lyonnaise des Eaux et de l’éclairage ;
  • 1921 : Président de l’Omnium International des pétroles (fondation 1920 sous la dénomination Steava française) ;
  • 1922 : Prend le contrôle de la Steaua Romana, la plus importante société pétrolière de Roumanie et créa la Steaua française, dont il était devenu le président ;
  • 23 septembre 1923 : chargé par Raymond Poincaré de dynamiser et de restructurer le secteur pétrolier ;
  • Fonde, en mars 1924, la Compagnie française des pétroles (CFP) ;
  • En décembre 1925, il fonde le Redressement français qu’il dissout en 1935 ;
  • 1927 : il épouse en secondes noces Marguerite Dreyfus, la nièce d’Alfred Dreyfus, et fut l’objet d’attaques antisémites, poursuivi par la haine que lui portait son ancien collaborateur Alibert ;
  • En 1931, il prend la tête du comité français Pan-européen ;
  • PDG de la société Alsthom de 1933 à 1940 ;
  • En 1934, il préconise un rapprochement avec l’URSS de manière à encercler l’Allemagne et donnera, dans cet optique, une conférence en Russie en 1936 ;
  • Mise en cause dans les émeutes anti-parlementaires du 6 février 1934, qu’il décrivit comme la victoire de l’« esprit du front » 4 ;
  • 1935 : Cesse alors d’être le porte-parole5 des polytechniciens modernisateurs ;
  • Est l’un des organisateurs de la Conférence mondiale de l’énergie de 1936 ;
  • Seconde Guerre Mondiale : fit partie du même réseau de résistance que l’architecte Auguste Perret et André Siegfried.
  • En mai 1940, l’ambassadeur américain6 à Paris lui demande d’organiser la distribution de l’aide offerte par la Croix Rouge américaine ;
  • La législation limitant le nombre de postes administrateur, il quitte la CFP, en 1940 (sous la pression allemande) ;
  • Août 1943 : tentative d’arrestation par les allemands, sauvait par une hospitalisation pour empoisonnement du sang ;
  • Novembre 1944 : participe à la conférence de Rye, réunion d’hommes d’affaires internationaux désireux de faire « une étude préliminaire des bases économiques de la paix » ;
  • 1946 : Nationalisation des compagnies d’électricité pour former l’EDF, sa carrière de dirigeant d’entreprise prend fin ;
  • Toujours en 1946 : Continue à présider la branche française de la Chambre de commerce internationale ; Siège au conseil d’administration de diverses sociétés, dont la Compagnie du Canal de Suez et la Société alsacienne de constructions mécaniques (vice-président) ; Vice-président du Centre des Hautes Etudes Américaines ;
  • En tant qu’ingénieur il poursuit des recherches sur les turbines électriques ;
  • Il sera également nommé vice-président de l’Académie de marine et grand officier de la Légion d’honneur ;
  • Ernest Mercier meurt le 11 juillet 1955 à Paris ;

Ses archives personnelles sont déposées aux Archives nationales8

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