Première pompes à essence en libre-service automatique – 10 juin 1964

10 juin 1964, à Westminster, Colorado – Les premières pompes à essence en libre-service à distance (libre-service automatique) sont introduites.

Une douzaine de clients n’ont probablement pas réalisé que ce qu’ils ont pu faire à la pompe ce jour là allait bouleverser à jamais l’approvisionnement en carburant, et avoir un impact sur d’autres réseaux de vente au détail.

À l’époque où l’essence coûtait 30 cents le gallon (soit env. 2,87 $ / 2,65€ en 2022 pour 3,78l), une visite à la station-service était synonyme de service.

On entrait dans la station, on roulait sur le tuyau en caoutchouc qui fait sonner la sonnette et on attendait que le préposé sorte à grands pas.

Ordinaire ou éthylique ? On vérifie l’huile et les pneus ? Laver le pare-brise ne nécessitait même pas besoin de demander.

Mais ces concepts pittoresques sont soudainement tombés dans l’oubli il y a plus de 50 ans dans la superette « Big Top » de Westminster.

10 juin 1964

Le 10 juin 1964, au coin du boulevard Federal et de la 74e avenue, à Westminster, dans le Colorado, l’interrupteur a été actionné, par John Roscoe, sur les premières pompes à essence en libre-service télécommandées du pays (U.S.A.). La vente au détail d’essence n’a plus jamais été pareil.

Ce premier jour, le magasin n’a vendu que 124 gallons (env. 469 l) d’essence à une douzaine de clients, mais cet événement marque le début de l’ère moderne du ravitaillement en libre-service. 

Au total, les dépanneurs vendent cette quantité de carburant toutes les 0,02 secondes.

Herb Timms

Au départ, John Roscoe ne voulait rien savoir de l’essence en libre-service accessible à distance.

Il avait ouvert son premier magasin de proximité en 1957 à Denver et, en 1964, il exploitait une chaîne de 12 magasins dans la région.

Un jour, se souvient Roscoe, un homme du nom de Herb Timms s’est arrêté avec un boîtier qu’il avait inventé pour permettre à un employé du magasin de distribuer de l’essence aux pompes.

« Au départ, j'étais réticent, mais heureusement pour moi, mon banquier connaissait Herb et il m'a convaincu d'essayer son invention »

Un nouveau concept

Certains automobilistes furent effrayés à l’idée de faire leur propre plein

Il était impensable (en Amérique) de pomper son propre carburant en 1964, et c’était également interdit dans la majeure partie du pays, sur la base de la réglementation concernant les risques d’incendie des États.

À l’époque, le libre-service était loin d’être pas la norme. Après tout, la première épicerie en libre-service, où les clients choisissaient leurs articles au lieu de remettre une liste à un commis, n’a existait qu’en 1916. Mais en 1964, le moment, et les possibilités de faire son plein en libre-service, étaient là et étaient prometteuses. 

« L'industrie pétrolière reconnaît de plus en plus que l'automobile a révolutionné tous les commerces de détail, sauf celui de la station-service ! On commence même à prendre conscience dans cette industrie que le trafic automobile est maintenant un trafic commercial, et que plus de voitures, conduites par des hommes aussi bien que par des femmes, s'arrêtent chaque jour dans les stations-service que dans n'importe quel autre point de vente, y compris peut-être le point de vente alimentaire ! Aucun commerce, autre que les stations-service, ne néglige à ce point un tel trafic ! »

Des prix bas

Le propriétaire de « Big Top », John Roscoe, a cependant découvert qu’il pouvait attirer les clients vers ce concept radicalement différent en fixant le prix de son essence à 2 ou 3 cents le gallon en dessous de celui de la concurrence (une économie de 10 %).

Les affaires ont décollé, et Roscoe a rapidement ajouté le ravitaillement à distance à deux autres magasins. En juillet, les magasins enregistraient une moyenne de 4 500 gallons (17 034 l.) de ventes par semaine.

« Cela a vraiment changé la nature des magasins de proximité et des stations-service », a déclaré M. Roscoe, qui gère aujourd’hui une entreprise de fourniture de cigarettes à rouler à Fairfield, en Californie.

« Nous avons effectivement récupéré le commerce de l’essence des stations-service à service complet sans leurs frais de main-d’œuvre. »

« Ce qui a rendu le libre-service si important pour l'industrie des supérettes, c'est que nous avions déjà l'installation. En dépensant 10 000 $, nous avons réussi à récupérer le commerce de l'essence des stations-service à service complet sans leurs frais de main-d'œuvre. Les ventes des supérettes s'élevaient en moyenne à 300 $ par jour et généraient une marge avant impôt d'environ 100 $ par jour. Cependant, si vous parveniez à vendre 1 000 gallons d'essence avec une marge de 10 cents le gallon, vous doubleriez votre profit sans ajouter beaucoup à vos dépenses. »

Auparavant, le libre-service exigeait qu’un préposé réinitialise les pompes après chaque ravitaillement en carburant et récupère également l’argent sur l’ilot.

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Le ravitaillement à distance a révolutionné l’industrie des supérettes – et nous en voyons encore les effets dans les épiceries aujourd’hui.

L'expérience de Los Angeles

Une version précédente du « libre-service » avait été introduite à Los Angeles en 1947. En 1947, Frank Urich avait ouvert une station sans marque, avec des rangés de pompes étincelantes et des filles sur des patins à roulettes collectant l’argent des clients et remettant manuellement les distributeurs à zéro avant que les automobilistes ne commencent à se servir.

Certaines stations sans marque ont adopté ce type de libre-service pour l’essence, mais l’idée n’a pas été retenue par de nombreux détaillants à l’époque. Les grandes compagnies pétrolières ont continué à se faire concurrence par le biais de gadgets uniques, tels que des salières et des poivrières en forme de pompe à essence, et par la promotion de toilettes propres. Et les clients sont restés très fidèles à certaines marques de carburant.

Le libre service chez "BIG TOP"

Le système utilisé, à partir de 1964, par « Big Top », dans la région métropolitaine de Denver, a toutefois été considéré comme révolutionnaire car il était le premier à permettre aux employés de rester à l’intérieur des magasins et de réinitialiser les pompes par télécommande.

Afin d’encourager d’autres personnes à se joindre au mouvement du libre-service, Roscoe a proposé de parler de son succès lors d’une conférence intitulée « New Concepts of Merchandising for Profit » (nouveaux concepts de merchandising pour les profits) lors de la réunion annuelle de la NACS en 1964.

Certains de ses concurrents ont commencé à emboîter le pas, mais il a fallu des années aux automobilistes pour vraiment adopter le concept. Une série de lois d’État (U.S.A.) interdisant le libre-service ralentissant son développement.

En 1968, quatre ans après le lancement du Big Top, 23 États avaient encore des interdictions en vigueur.

« L'idée était tellement étrangère à la façon de penser qui prévalait jusqu'alors que certains propriétaires de superettes pensaient que c'était ridicule, que personne ne voudrait faire le plein lui-même. »

L'évolution

Pour que l’essence en libre-service à distance se développe, des changements réglementaires étaient nécessaires. « La plupart des lois des États comportaient des dispositions interdisant les distributeurs en libre-service dans les stations-service », explique Bob Benedetti, responsable du projet de code des liquides inflammables pour la National Fire Protection Association.

Petit à petit, 48 États ont modifié leurs codes de prévention des incendies pour autoriser les distributeurs en libre-service. « Certains pensaient qu’il y aurait une augmentation du nombre d’accidents ou d’incendies dans les stations-service équipées de distributeurs en libre-service, mais cela ne s’est jamais produit », a déclaré Benedetti.

Un concept adopté très lentement

Malgré le changement des lois de l’État, l’acceptation au sein de l’industrie des dépanneurs (supérettes) s’est faite à un rythme très lent. « L’idée était tellement étrangère à la façon de penser en vigueur que certains propriétaires de magasins de proximité pensaient que c’était ridicule, et que personne ne voudrait faire le plein lui même », a déclaré Fred Lowder.

Afin d’encourager d’autres personnes à rejoindre le rang du libre-service, Roscoe a proposé de parler de son succès lors d’un séminaire intitulé « New Concepts of Merchandising for Profit » (nouveaux concepts de marchandising pour le profit) à l’assemblée annuelle de la NACS en 1964.

« J'étais avec une personne qui exploitait un marché de viande à Portland, dans l'Oregon. Après les présentations, toutes les questions de l'auditoire étaient adressées à l'exploitant du marché de la viande. L'essence n'a suscité l'intérêt de personne. »

Si la présentation de l’auditoire n’a pas attiré l’attention des exploitants de magasins, les ventes de carburants de Roscoe, elles, l’ont fait. « John me fait parvenir une copie de ses ventes d’essences et cela a retenu mon attention », a déclaré Fred Lowder, devenu président de la NACS cette année 1966.

« Une bonne partie des exploitants de magasins de proximité n’avaient pas les 10 000 $ (env. 93 300$ / 85 800€ en 2023) à investir dans l’appareil, de sorte que l’acceptation générale a été extrêmement lente », a déclaré Roscoe, qui a parcouru le pays pour susciter l’intérêt pour cette technologie, dont il a obtenu la licence de vente. « Il a probablement fallu au moins 10 ans pour que l’industrie l’accepte. »

Lowder était du même avis : « Il a fallu plus d’une décennie pour que le point de bascule dans le libre-service se produise. Il a fallu un long processus pour que l’industrie se rende compte qu’il n’était plus possible d’avoir un magasin de proximité sans essence, et que le libre-service était la voie à suivre. »

La pénurie d’essence de 1973 et 1974 a encore accrue la volonté d’adopter le libre-service.

La crise de 1973-74

L’embargo pétrolier de l’OPEP de 1973-74 a fait monter en flèche les prix du carburant et a donné aux consommateurs une forte impulsion pour économiser autant qu’ils le pouvaient sur l’essence.

Les longues files d’attente dans les stations-service ont incité la Californie à adopter une loi obligeant toutes les stations à afficher les prix si elles ne le faisaient pas déjà. « Les gens faisaient la queue pendant des heures et ne savaient pas quel était le prix jusqu’à ce qu’ils arrivent à la pompe. Ils devaient alors acheter de l’essence ou aller dans une autre station et faire la queue à nouveau », a déclaré Jerry Cummings, un cadre pétrolier à la retraite de la société Robinson Oil Corp, basée en Californie. « La loi sur l’affichage des prix a fait de  l’essence un produit plus courant et cela a vraiment aidé le libre-service ».

De nombreuses interdictions à l’échelle de l’Amérique ont été annulées. Aujourd’hui, le New Jersey et l’Oregon sont les seuls États qui ont encore des lois interdisant le ravitaillement en libre-service.

« Parce que (le libre-service) était si singulier, qu’il a fallu une bonne décennie pour devenir vraiment populaire », a déclaré Jeff Lenard de la National Association of Convenience Stores. « Mais une fois qu’il y est parvenu, les dépanneurs sont rapidement devenus les principales stations de ravitaillement en carburant du pays » (environ 80 % de tout le carburant vendu aux États-Unis en 2012).

Et les compagnies pétrolières ?

Au départ, les grandes compagnies pétrolières ont résisté à l’essence en libre-service, ne voyant pas la nécessité de modifier leur fonctionnement.

« Cependant, les revendeurs de pétrole qui géraient de nombreuses stations ont vu l’avantage économique et ont commencé à adopter l’essence en libre-service ainsi que des boutiques », a déclaré Roscoe. « Les avantages étaient si nombreux que, finalement, tout le système de commercialisation de l’essence a été modifié ».

« Le libre-service va se développer. Il ne s'imposera pas à tous les vendeurs d'essence - loin s'en faut. Mais il en intéressera un pourcentage non négligeable et obligera, enfin, les stations-service, à devenir des commerçants modernes. »

Un succès à nuancer

Le public a adoré l’idée dès le départ. Étant donné que les magasins de proximité pouvaient vendre de l’essence sans marque à partir de pompes en libre-service à un prix inférieur à celui des stations-service de marque à service complet, les clients affluaient vers les magasins de proximité pour faire le plein.

Les ventes d’essence ont certes généré du trafic, mais même à ses débuts, elles n’ont pas nécessairement généré des bénéfices, car les détaillants opéraient avec des marges de plus en plus faibles pour attirer des clients soucieux des coûts.

« Si vous décidez de vous lancer dans le commerce combiné de l’alimentation et de l’essence, vous constaterez que l’essence ne représentera qu’une petite partie de votre marge… Vous devrez réaliser 80 % ou plus de votre marge totale en vendant d’autres produits que l’essence. » — John Roscoe dans un discours prononcé en 1976 devant des dirigeants du secteur pétrolier.

Près de 40 ans plus tard, les magasins de proximité vendent un nombre incompréhensible de 161 000 gallons (609 500 l.) par magasin et par mois, mais l’essence ne représente aujourd’hui qu’environ 40 % de la marge (U.S.A.).

Aujourd'hui

Le service en plus

Une poignée de stations du Colorado exploitent encore des pistes multiservices à côté du libre-service, mais elles sont rares.

L’une d’entre elles est la station Conoco Bonnie Brae sur South University Boulevard à l’intersection de Exposition Avenue.

« Les personnes qui aiment le service complet seraient très déçues si nous le supprimions », a déclaré le gérant Ken Wilson.

« Chaque fois que vous utilisez une pompe à essence, même si vous ne vous éclaboussez pas, vous allez quand même sentir l’essence », a déclaré Wilson. « Et les gens aiment faire laver leurs vitres, vérifier leurs pneus et leur huile ».

Et ils sont prêts à payer pour cela. Les prix du Conoco de Bonnie Brae pour l’essence en service complet sont supérieurs de 40 cents par gallon à ceux des pompes en libre-service situées à quelques mètres de là.

Et ils sont prêts à payer pour cela. Les prix de l’essence avec un service complet, à la station Conoco de Bonnie Brae, sont supérieurs de 40 cents par gallon à ceux des pompes en libre-service placées à quelques pas de là.

Un tel écart de prix constitue un petit marché, a déclaré Mark Larson, directeur exécutif de la Colorado Wyoming Petroleum Marketers Association (Association des commerçants de pétrole du Colorado Wyoming). Il avou également qu’il aurait du mal à déterminer combien de pompes à service complet existent encore et où.

Les marges sur l'essence (U.S.A.)

Dans les années 1960, les marges sur l’essence étaient semblables à celles des autres commerces de détail, et il était courant d’avoir des marges de 10 cents avec un prix de l’essence compris entre 20 et 30 cents (équivalant à env. 2,02$ à 3,06$ en 2023) le gallon (env. 3.78l).

Aujourd’hui, les marges brutes sur l’essence sont d’environ 20 cents (env. 0,18€) par gallon, mais les dépenses sont beaucoup plus importantes. Après les dépenses, y compris les frais de carte de crédit, les marges nettes avant impôt sont d’environ 5 cents (env. 0,04€) par gallon.

Et en France ?

De nos jours, en France, les stations peuvent choisir entre la libération automatique ou manuelle, demander un prépaiement ou une préautorisation, proposer un paiement par un automate (on parle alors de DAC : Distributeur Automatique de Carburant), le payement par ticket via une borne (permettant le payement par billet) ou un payement à la caisse du magasin…

Quelques stations (les plus modestes) fonctionne encore en « tradi » (traditionnel), c’est à dire sans passer par un pupitre, avec un service à la pompe.

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